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Sur la dérive du champ médico-psychologique

De l’influence des symptômes obsessionnels au sein des universités et des institutions médico-sociales 

  

                                                                                      Julien Faugeras

A Paris le 01/12/2019

 

Le rejet de la psychanalyse dans les universités et le milieu médico-sociale nous invite à nous interroger sur ce qui y fait symptôme. Il n’est pas impossible de remarquer que ces institutions souffrent de leur fonctionnement obsessionnel. En effet, en reprenant le tableau clinique de cette névrose, nous nous sommes rendu compte que les jugements de valeur auxquels s’accrochent les patients obsessionnels pour justifier l’abandon de leur cure ont exactement la même structure logique que ceux qui corrompent la recherche dans le champ médico-psychologique. Grâce à sa remarquable organisation défensive, la névrose obsessionnelle réussit à produire des ensembles de croyances bien organisés, soit des méthodologies et des théories erronées, qui ont cette particularité de donner l’illusion de la scientificité. Agencées prodigieusement, ces illusions illustrent la spécificité des mécanismes de défense que sont principalement le refoulement obsessionnel, l’isolation et l’annulation rétroactive. 

 

Parmi les biais logiques grâce auxquels cette névrose de la pensée donne à ses illusions l’apparence de véritables théorisations, nous pouvons nous intéresser à l’influence de l’isolation psychique dans les systèmes de croyances qui dominent actuellement le champ médico-social. A cet égard, nous pouvons voir que les « thérapies brèves » soutiennent leur apparente scientificité grâce à l’isolation de la dimension spatio-temporelle. Dire par exemple qu’une thérapie comportementale et cognitive soigne des symptômes psychiques est une proposition fausse qui peut sembler vraie dès lors qu’elle est considérée de manière isolée : 

 

-       Au niveau du temps : l’attention est focalisée sur la levée temporaire d’un symptôme, soit sur un temps limité. 

 

-       Au niveau de l’espace : l’attention est focalisée sur la particularité du symptôme sans prendre en compte la place qu’il occupe dans l’économie psychique. Par exemple, envisager la levée d’un symptôme phobique sans considérer son déplacement dans l’apparition de sentiments dépressifs. 

 

Par cette isolation du rapport à l’espace et au temps, la névrose obsessionnelle tend à institutionnaliser des méthodologies et des théories fallacieuses dans le champ médico-social. En recouvrant le biais logique par des rationalisations et des statistiques, elle diffuse des lectures erronées du réel tout en leur donnant l’image de la rigueur et de l’objectivité. Elle donne à des illusions le statut de véritables théorisations.  

 

Ce qu’il s’agit alors de remarquer, c’est que ces lectures faussées sont de véritables symptômes. Elles ont une fonction défensive pour les êtres qui y adhèrent. Ainsi, de la même manière qu’une croyance en une religion peut être imperméable à toute discussion, ces fausses méthodologies et ces théories erronées empêchent le mouvement dialectique de la science.En effet, ces systèmes idéologiques forment des idées fixes, elles ne peuvent donc être réfutées logiquement. Par cette confusion, la névrose paralyse le mouvement scientifique en instituant des dogmes qui rejettent catégoriquement ce qui peut les remettre en question. 

  

Ainsi, le système défensif obsessionnel introduit un paradoxe épistémologique redoutable, notamment dans le champ médico-social : il institutionnalise des croyances en leur donnant l’image de théorisations et écarte les théories qui fonctionnent en les considérant comme des croyances. 

 

Alors, quand des psychiatres ou des psychologues disent qu’ils ne « croient » pas à la psychanalyse, ils illustrent que le rapport au savoir dans le milieu médico-social a été remplacé par un rapport à la croyance. En annulant rétroactivement le savoir théorique et en instituant des croyances bien délimitées, la névrose du doute et des idées fixes transforme les universités en lieux de cultes. Bien isolés en de multiples spécialités, chaque confession peut alors se représenter. Chacun y est libre d’avoir ses opinions, ses croyances et du même coup, ses pratiques. Des obédiences « théoriques » à la démultiplication des techniques dites « thérapeutiques », l’isolation psychique nourrit des divisions à l’infini pendant que l’annulation rétroactive rabaisse le savoir au rang de l’opinion. 

 

En effet, dès lors que toutes les théories se valent, plus aucune n’a de véritable valeur logique, plus aucune ne peut être ni réfutée, ni confirmée. Par cet amalgame subtil entre le savoir et la croyance, cette névrose de la religiosité engendre une confusion épistémologique. Elle empêche de rejeter les théories erronées sous couvert du respect des opinions, des croyances et de la liberté de penser.  

 

Cette attaque ingénieuse du rapport au signifiant engendre des confusions qui déroutent la fonction des institutions : en remettant compulsivement en doute ce qui est vrai tout en remplaçant ce savoir sur le réel par des illusions bien isolées, la symptomatologie obsessionnelle transforme le champ médico-social en champ de batailles idéologiques. Elle désoriente le rapport du symbolique au réel et introduit en toute discrétion des logiques absurdes et mortifères. 

 

Le phénomène symptomatique est particulièrement prégnant dans les milieux universitaires où la méthode du chercheur se voit souvent confondue avec la symptomatologie de l’obsédé. De confondre la réflexion avec le surinvestissement de la pensée, le doute scientifique avec le doute compulsif, la méthode de recherche avec des rituels ou encore les vérifications scientifiques avec les symptômes de vérification, l’institutionnalisation du fonctionnement obsessionnel nourrit un obscurantisme qui se révèle destructeur parce qu’il revêt l’image de la scientificité. En effet, en confondant sa symptomatologie avec la méthodologie, la névrose produit une accumulation vaine de recherches trop circonscrites et instaure une forme d’inquisition « scientifique » qui confond l’erreur méthodologique et la censure idéologique : toute méthode qui sort des rituels en vigueur ou toute recherche qui n’est pas assez bornée, peuvent ainsi se voir considérées comme tabou, soit rejetées de manière catégorique comme étant classée comme « non scientifique ». 

 

A cet égard, le DSM illustre bien comment les systèmes de croyance obsessionnels s’institutionnalisent et se transmettent au nom de la rigueur et de l’objectivité. En effet, cette bible de la psychiatrie contemporaine forme un symptôme obsessionnel remarquable. Quand cette façon pathologique de classer, de répertorier et d’ordonner peut facilement donner l’apparence d’une démarche scientifique, nous pouvons toutefois repérer les mécanismes de défenses sur lesquelles la névrose obsessionnelle bâtit ses illusions : le savoir constitué par la psychiatrie classique y est annulé rétroactivement et les catégories nosographiques démembrées par le procès de l’isolation psychique. Ainsi, les liens logiques qui articulent les différents symptômes sont dissous minutieusement dans des listes de descriptions qui s’allongent d’édition en édition, soit à mesure que se renforce l’isolation. En focalisant l’attention sur des détails, soit en considérant les phénomènes de manière isolée, le refoulement obsessionnel engendre des faux rapports de causalités et ce faisant, il produit non seulement des fausses pathologies, mais surtout, des faux traitements. 

 

Qu’ils s’appliquent alors à la lecture des symptômes psychiques, corporels ou organiques, les mécanismes de défense obsessionnels ont des effets délétères dans le champ de la santé. Ils engendrent des méthodologies fallacieuses et des conceptions erronées par lesquelles les symptômes sont considérés et traités de manière isolée. Et en agissant uniquement sur un élément trop circonscrit du phénomène sans traiter ce qui le structure et le cause vraiment, ces lectures dévoient littéralement la fonction du soin. 

 

 

En effet, en définissant excessivement les phénomènes symptomatiques et en déconnectant leurs liens, la névrose obsessionnelle désoriente la recherche scientifique et oriente la fonction de guérison dans la voie d’une aberration logique. Tel le marin qui écope sans colmater la brèche qui fait couler son bateau, tel le voisin qui se préoccupe de son jardin pendant que sa maison brûle, les conséquences de l’isolation psychique dans le milieu médico-social frôlent les sommets d’une absurdité sans nom : non seulement ces lectures erronées tendent à déplacer les symptômes sans traiter ce qui les cause vraiment mais ce faisant – et c’est le comble dans le milieu de la santé - elles empêchent de les soigner véritablement. 

 

Entre la multitude de thérapies dites « brèves » et de traitements médicamenteux qui ciblent temporairement les symptômes sans considérer ce qui les cause, le gaspillage qu’engendre les illusions obsessionnelles est faramineux pour l’ensemble de la société.

 

Et si nous osons ne pas focaliser notre perspective au champ de la santé, nous pouvons même nous rendre compte que ces lectures bornées sont directement impliquées dans ces fausses solutions trop circonscrites qui corrompent le champ économique, social et même écologique. En effet, ne pouvons-nous pas repérer dans ces domaines les mêmes lectures « scientifiques » qui semblent justes à court terme et dans un espace restreint mais qui s’avèrent catastrophique à grande échelle ? 

 

Mais revenons au milieu médico-psychologique pour illustrer le pouvoir de destruction de cette névrose qui désoriente les institutions à travers des perspectives bornées.  

 

Un siècle après la découverte freudienne de la névrose obsessionnelle, comment se fait-il que sa symptomatologie continue de passer inaperçue dans les universités de psychologie et de médecine, soit dans des lieux où la question du symptôme est centrale ? 

 

Cette question met en évidence l’ingéniosité du système défensif obsessionnel et nous amène à souligner son influence dans les institutions psychanalytiques elles-mêmes. Si Jacques Lacan avait repéré le poids des superstitions qui affectaient le milieu médical de son époque, il a surtout passé une bonne partie de son enseignement à mettre en évidence que le message freudien ne cessait d’être perverti par des théorisations erronées. Aujourd’hui, nous pouvons préciser que cette désorientation savamment organisée de la théorie psychanalytique résulte précisément de l’institutionnalisation de ces fausses théorisations que produit la névrose obsessionnelle. Et le phénomène est actuellement d’autant plus prégnant que ce dévoiement institutionnel que Lacan remarquait s’est déplacé au sein d’écoles qui se réclament de son enseignement. 

 

Par l’ingéniosité de son mode d’organisation, la névrose obsessionnelle continue de pervertir le milieu psychanalytique à travers des guerres de chapelles où les associations s’opposent par formations réactionnelles interposées. C’est d’ailleurs ce pourquoi son influence réussit brillamment à passer inaperçue, cette névrose du doute et des idées arrêtées se représente via des systèmes diamétralement opposés. De la soumission à l’opposition, elle produit des théories erronées et des fonctionnements absurdes qui s’affrontent en miroir, soit entre leur versant bureaucratique et leur versant anarchique, entre leur versant contraignant et leur versant libertaire.   

 

Mais le comble de ce conflit obsessionnel qui se représente massivement dans le champ même où il devrait être le plus pris en compte, c’est qu’il s’y diffuse précisément en étant banalisé et considéré de manière isolée. Autrement dit, les manifestations institutionnelles de la névrose obsessionnelle continuent de se déplacer et de se renforcer silencieusement en étant interprétées… de manière obsessionnelle.

 

Pour illustrer cette impasse épistémologique, nous pouvons remarquer que les aliénistes présentaient déjà des cas de névrose obsessionnelle. Or les descriptions fines qu’ils faisaient de cette symptomatologie étaient justement influencées par les mécanismes de l’isolation et de l’annulation rétroactive : seuls les symptômes les plus graves étaient répertoriés, isolés, souvent considérés comme des tares, pendant que les symptômes les plus courants de la névrose étaient tout simplement annulés rétroactivement, soit considérés comme « normaux ». 

 

Aujourd’hui, malgré la théorisation freudienne et en dépit des apports de Lacan, nous pouvons remarquer que la conception de la névrose obsessionnelle continue de buter sur les effets de ses propres mécanismes de défenses. Il n’est pas rare d’entendre des analystes ne considérer comme proprement obsessionnels que les symptômes paroxystiques de la névrose pendant que les symptômes les plus représentés continuent d’être mésestimés.

 

Ce qu’il s’agit de saisir ici, c’est qu’en déconnectant les liens logiques entre les phénomènes symptomatiques, l’isolation psychique empêchent tout autant de diagnostiquer la névrose obsessionnelle que ses incidences institutionnelles. Elle dévoie ainsi la théorie psychanalytique et son application et conduit à la création de faux diagnostics, comme celui d’état limite ou de pervers narcissique. 

 

Lorsque Freud a levé le voile sur l’influence de la névrose obsessionnelle au sein de la société[1], pouvait-il se douter que les conséquences logiques de sa découverte de l’isolation et de l’annulation rétroactive seraient ironiquement isolées et annulées rétroactivement ? 

 

L’impasse logique est difficile à cerner car cette névrose de la pensée donne l’apparence de la raison. Mais quand le doute propulse la recherche scientifique, la névrose du doute la retient dans les méandres de l’obscurantisme. 

 

Pour illustrer l’ingéniosité avec laquelle l’annulation rétroactive désorganise subrepticement la théorie freudienne, nous pouvons donner un exemple relativement récent. Alors que nous présentions notre projet d’étude à professeur de psychologie d’obédience analytique, ce dernier rejeta notre travail en une simple assertion : « De toute façon, nous sommes tous obsessionnels ». Derrière cette proposition pleine de générosité, nous pouvons reconnaitre l’un des biais logiques les plus puissants par lequel la névrose du doute désoriente la théorie et la pratique psychanalytique. En effet, si nous sommes tous obsessionnels, alors personne ne l’est. Cette affirmation vient annuler rétroactivement la recherche sur la névrose obsessionnelle et sur ses conséquences. Et par cette proposition universelle erronée, c’est l’ensemble du savoir accumulé sur la psychopathologie qui se voit sabordé et par la même, la psychanalyse et ses résultats. 

 

Tels les patients qui minimisent leurs symptômes en considérant qu’ils concernent tout le monde, cette tendance à annuler rétroactivement est lourde d’implication institutionnelles. En effet, en systématisant ses manifestations symptomatiques dans des conceptions spécieuses qui les intègrent comme des fonctionnements normatifs, la névrose obsessionnelle réussit ce tour de force d’institutionnaliser son fonctionnement pathologique. Autrement dit, en pliant le rapport à ce qui est vrai sous le joug de perspectives bien bordées, la névrose de l’isolation institue sa morbidité en normes et ce faisant, elle diffuse son mode de destruction au sein des organisations. 

 

Dans les milieux scientifiques, l’obsession tend à s’y voir confondue avec la réflexion, le doute compulsif avec le doute méthodique, les peurs irrationnelles avec des précautions. A travers ces amalgames en série qu’elle introduit entre sa symptomatologie et la méthodologie, la névrose obsessionnelle dévie la fonction des institutions dans des fonctionnements aberrants. Si le soin psychique se voit transformé dans la voie paradoxale du renforcement de la symptomatologie, il n’est pas impossible de remarquer que la formation actuelle des étudiants de psychologie achoppe sur ce symptôme par lequel les névrosés de contrainte surinvestissent la pensée aux dépens de l’expérience. 

 

Quand un analyste à l’université refuse catégoriquement que les étudiants reçoivent des patients, quand un second rejette la prise en compte des cas cliniques en préférant une accumulation de statistiques, ou quand un troisième analyste martèle à ses étudiants qu’il est impossible de vivre de sa clinique, ne pouvons-nous pas repérer comment le rapport au désir et à l’expérience tend à être écrasé par un fonctionnement mortifère ritualisé et savamment justifié ?

 

Ainsi, la symptomatologie obsessionnelle dévoie le rapport du signifiant au réel qu’il vise à cerner et elle désoriente la formation des cliniciens du rapport au désir qui la soutient. La problématique de la psychanalyse dans les Écoles ou à l’université n’est donc pas le témoin de son obsolescence, bien au contraire. Elle révèle l’ingéniosité de cette symptomatologie névrotique qui attaque le symbolique tout en le promouvant. Face à cet obscurantisme qu’elle institutionnalise en donnant à ses systèmes de croyances l’apparence de véritables théories, la névrose obsessionnelle réussit à corrompre le mouvement dialectique de la science… au nom de la science. En érigeant ainsi sa symptomatologie au rang d’une méthodologie, elle institut l’isolation psychique en norme. Elle démultiplie ainsi des champs de recherches trop isolés et rompt, sous couvert d’une fallacieuse scientificité, les liens logiques qui articule les différents domaines. A cet égard, l’étude de l’influence sociale et épistémologique de la névrose obsessionnelle peut donc facilement buter sur le tranchant de cette isolation névrotique et se voir ainsi catégorisée comme une forme d’hérésie.

 

Alors, bien que la psychanalyse éclaire la lecture des symptômes sociaux et bien qu’elle prouve au jour le jour son efficacité, il s’agit ici de remarquer que les résultats de l’expérience ne cessent de se voir rejetés par des formations symptomatiques institutionnalisées. De son refus catégorique, inaccessible à toute discussion, au dévoiement qui corrompt la psychanalyse dans des guerres de religions, nous pouvons repérer les symptômes de cette névrose qui isole et annule elle-même la prise en compte de ses propres manifestations. 

 

[1] Freud, S. (1927). L’avenir d’une illusion, in Œuvres Complètes, Vol. XVIII, PUF, Paris, 1994.

 

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